Si on ne devait en retenir qu’un ça serait lui : le cousu Goodyear.
Je ne veux pas parler de sa qualité, de sa durabilité ou de sa soi-disant supériorité.
Non je parle de notoriété.
Il vous saute à la figure dès que vous commencez à vous intéresser, un tant soit peu, aux chaussures de qualité. Le monde entier n’a d’yeux que pour lui.
Si j’étais mauvaise langue et que je caricaturais un peu on pourrait résumer les premiers conseils que vous allez trouver par :
« Plutôt que d’acheter des chaussures qui vous plaisent, achetez surtout des chaussures cousues Goodyear. »
Oui, je sais j’exagère. Mais pas tant que ça en fait.
Car si théoriquement il n’y a pas des milliers de façons de réaliser un cousu Goodyear dans la pratique ils ne se valent pas tous.
Donc vous conseiller de suivre aveuglément « une appellation » me semble vraiment idiot.
Mais je vous rassure là n’est pas le sujet de cet article.
Je ne vais pas rentrer dans le débat sans fin du cousu Goodyear vs cousu Blake (encore que j’en dis quelques mots à la fin de cet article).
Non aujourd’hui je veux vous expliquer le pourquoi du comment :
- Pourquoi ce montage est-il, devenu aussi populaire auprès des aficionados ?
- Comment est-il devenu la norme pour une chaussure de qualité
(alors qu’une mauvaise chaussure peut très bien utiliser un cousu Goodyear) ?
Bref en résumé je veux vous emmener au cœur de ce montage mythique.
Vous faire explorer ses origines et son histoire.
Et si cela ne suffit pas à vous donner envie d’en savoir plus sachez que :
NON IL N’A PAS ÉTÉ INVENTE PAR CHARLES GOODYEAR JR.
Avouez que le suspens est insoutenable et que vous mourrez d’envie de continuer à lire cet article maintenant.
Je ne vous fais plus languir.
Note : si le sujet vous intéresse, je vous invite à lire aussi l’article consacré aux différents montages existants pour les chaussures
Mise en contexte : un résumé de l’histoire de la chaussure moderne
Le cousu Goodyear n’a pas été inventé grâce à une idée lumineuse et soudaine.
Ce montage est le résultat de nombreuses évolutions au cours de longues années.
Du coup, remontons le temps jusqu’à l’époque du moyen âge.
Du 6è au 15è siècle, les chaussures sont quasiment toutes réalisées avec ce qu’on appelle le cousu retourné.
Ce procédé ingénieux consiste à coudre la semelle directement sur la tige (qui a été montée à l’envers sur la forme).
Ensuite, on retire la forme et on retourne le tout pour obtenir la chaussure.
Bien qu’ingénieux ce procédé à de nombreux inconvénients :
- Il ne permet de faire que des chaussures souples (par opposition à des chaussures solides qui offrent un bon maintien) car sinon on ne peut pas réaliser l’opération de retournement.
- Une fois que la semelle est usée, la chaussure est bonne à jeter, car on ne peut pas la réparer.
- Le procédé de « retournement » ne permettait pas d’utiliser n’importe quelle forme.
Ces chaussures viennent donc très rarement bien coller aux lignes des pieds. - Il est impossible de mettre un vrai talon.
On a donc des chaussures plates qui ne viennent pas supporter la voûte plantaire.
C’est afin de gommer ces points faibles que des évolutions vont apparaître.
A partir du 15è siècle, on pensa à ajouter une trépointe à la semelle fixée à la tige.
Cela permettait, une fois l’opération de retournement réalisée, de venir fixer une semelle supplémentaire en réalisant une couture à l’extérieur.
C’est à partir du 16è siècle qu’une nouvelle avancée eut lieu.
On mit en place un système similaire, mais sans avoir besoin de retourner la chaussure.
La chaussure pouvait être fabriquée « à l’endroit » sur la forme et y rester pendant tout le processus.
Ne devant plus réaliser l’opération de retournement on pouvait alors fabriquer des chaussures bien plus solides.
C’est la naissance du cousu trépointe.
Note : les chaussures cousues main par un bottier encore aujourd’hui ne sont qu’une légère évolution de cette méthode avec la création du mur de montage (alors qu’ici la trépointe est fixée directement à la première de montage).
Mais tout cela est alors réalisé uniquement à la main (d’ailleurs cousu trépointe est le terme utilisé pour un cousu Goodyear réalisé sans l’aide de machine).
L’invention du montage qui nous intéresse aujourd’hui va donc venir avec l’industrialisation de la fabrication des chaussures.
Sommaire
Industrialisation de la fabrication
La fabrication à la main des chaussures sera la norme pendant très longtemps.
Il faut attendre la révolution industrielle et le basculement d’une société artisanale à une société mécanisée pour que les machines viennent modifier radicalement la façon dont on réalise les chaussures.
Je vous passe les détails de la partie de l’histoire au cours de laquelle les semelles étaient chevillées au reste de la chaussure.
Note : Sachez malgré tout que c’est ce principe qui est à la base de la première machine qui va remettre les semelles cousues au cœur de la fabrication des chaussures.
On fait donc un bond jusqu’aux années 1860.
La machine McKay révolutionne la chaussure
Elle a été inventée en 1858 par Lyman Reed Blake (oui c’est lui qui a donné son nom à ce fameux montage).
Cet inventeur commença très jeune à travailler dans le monde des fabricants de chaussures (notamment pour son frère).
Mais, c’est son expérience dans la société d’Isaac Singer (oui l’inventeur de la machine à coudre) qui fut un déclic.
Les machines qu’il installait dans les usines de fabrication de chaussures ne permettaient que d’assembler entre elles les différentes parties du dessus de la chaussure.
C’est lorsqu’il commença à réfléchir à mécaniser le lourd et long travail de couture à la main de la semelle à la tige qu’il développa sa fameuse machine.
Souvent; une machine est contrainte par le produit qu’elle doit fabriquer.
Parfois, la transformation du produit permet de grandement simplifier la machine.
C’est cette démarche qui a permis à Blake de mettre au point sa machine.
Elle proposait en effet une façon d’assembler ensemble semelle et tige très différente du cousu trépointe.
Si on caricaturait, on pourrait dire qu’il a inventé une machine qui permet de faire un montage chevillé dans lequel les chevilles sont remplacées par des coutures.
Vous vous demandez alors pourquoi cette machine ne porte pas son nom ?
Tout simplement par ce que l’homme d’affaires Gordon McKay, voyant l’énorme potentiel de cette machine pour la fabrication de chaussures, acheta, en 1859, le brevet déposé par Blake.
Mais il en améliora aussi le fonctionnement (notamment pour la réalisation de la couture au niveau du talon et des orteils) avec l’aide de Blake avec qui il travailla jusqu’en 1874.
De 1864 à 1870, le nombre de paires de chaussures fabriquées avec la machine McKay passe de 5 à 25 millions.
Je me permets deux anecdotes sur Blake même si ce n’est pas le sujet de l’article :
- L’inventeur n’avait jamais observé la réalisation d’une couture à la main de chaussures avant d’inventer sa machine.
- Sa machine aurait permis, lors de la guerre de Sécession, au Nord d’avoir un avantage matériel important sur les Confédérés qui allaient au combat avec des chaussures qui ne protégeaient pas leurs pieds.
Découverte du cousu Goodyear
La machine permettant la mécanisation du Goodyear a été inventée par James Hanan
Voilà c’est la fin du suspense !
Mais attendez laissez moi vous explique ce qu’il s’est passé.
En 1869, Charles Goodyear gère les finances et l’empire créé par son père (grâce notamment au brevet sur la vulcanisation du caoutchouc).
C’est alors que le fabricant de chaussures James Hanan lui présente une machine à coudre les semelles qui est différente de toutes celles présentes sur le marché à l’époque.
Flairant le bon coup Charles acheta le brevet déposé par James !
La machine Hanan ou le cousu Goodyear mécanisé
Cette nouvelle machine offrait des avantages considérables par rapport à la méthode McKay (machine à points Blake donc, vous suivez toujours ?), déjà très populaire.
Mais elle était truffée de difficultés mécaniques.
Pour rendre à César ce qui lui ait du, Goodyear Jr. ne se contenta pas d’acheter le brevet.
Il embaucha l’inventeur Auguste Destouy (qui avait cédé son brevet originel à Hanan) et un autre mécanicien nommé Daniel Mills pour travailler pour lui à l’American Shoe Tip Company et régler les problèmes de la nouvelle machine.
Par exemple, l’espace pour la réalisation des coutures entre la tige et la trépointe est très faible donc très compliqué à mécaniser.
Sous sa direction et, plus important encore, avec son soutien financier, les deux hommes ont travaillé et déposé pas moins de 7 brevets différents.
La mise au point fut particulièrement longue, car on parle souvent d’une trentaine d’années pour arriver à la machine finale.
Le nom de Goodyear sur les brevets expliquerait pourquoi on lui attribue cette invention.
Pourtant les différentes preuves montrent que sa principale contribution est d’avoir adapté et popularisé le travail de ses mécaniciens.
Pour autant, il ne faut pas le discréditer, car rien de tout cela n’aura été possible sans lui.
Dans les années 1890, le nombre de chaussures cousues Goodyear passa de 12 à plus de 50 millions.
Avantages & inconvénients du cousu Goodyear
Si vous espériez avoir un avis tranché sur cet éternel débat alors vous risquez d’être déçu.
Pour moi, il n’y a en pas un meilleur que l’autre.
Cela va dépendre de ce que vous recherchez et de l’utilisation que vous allez faire de vos chaussures.
Voici quelques éléments de comparaison :
- Le Goodyear sera plus imperméable (encore qu’un Blake sous gravure avec un patin posé sur la semelle est assez imperméable pour une météo classique) mais plus raide.
- Un Blake sera confortable bien plus rapidement.
- Un Blake sera plus fin visuellement. Mais s’il est réalisé sans débordant alors c’est le cuir de la tige qui va prendre les chocs contre les trottoirs et autres marches d’escalier.
- Etc.
Je veux surtout profiter de ce paragraphe pour tordre le cou à une idée trop répandue et encore colportée à de nombreux endroits :
OUI VOUS POUVEZ FAIRE RESSEMELER UN BLAKE
Je suis d’accord qu’on ne peut pas le faire à l’infini, car de par sa configuration le cordonnier ne repassera pas par les mêmes trous.
Donc la structure se fragilise.
Mais, de sources sûres, vous allez pouvoir ressemeler au moins 3 fois.
Si en plus vous faites poser des fers et patins sur les semelles vous voyez bien que vos chaussures vont durer de très nombreuses années.
Ici une vidéo du service ressemelage Blake de la marque Oliver Sweeney
Pourquoi je vous parle de ça ?
Simplement parce que la possibilité de réaliser un ressemelage est le GROS avantage du montage Goodyear.
C’est même pour cela qu’il a été inventé (vous n’avez pas lu l’article et l’histoire des chaussures en cousu retourné? :))
Comme la couture qui relie la semelle d’usure au reste est à l’extérieur (au risque de devenir lourd, j’insiste : c’est ce point qui fait tout l’intérêt de ce montage) il suffit de la défaire pour poser une nouvelle semelle.
C’est très bien dans un monde ou le ressemelage est effectué à la main
Note : et encore mieux dans un monde où nous faisons ressemeler nos chaussures ce qui arrive rarement malheureusement.
Car dans ce cas on va repasser par les mêmes trous dans la trépointe et on ne fragilise rien.
Malheureusement, les ressemelages sont, 90% des fois, réalisées à la machine.
Et, au risque de faire des déçus, il est impossible pour un cordonnier de repasser par les mêmes trous lorsqu’il fait un remontage machine.
Alors oui le montage Goodyear est un montage plus noble et compliqué à réaliser.
Il renvoie directement à une forme de tradition de la fabrication de chaussures.
Mais il n’est pas un gage de qualité ou de durabilité vis-à-vis de son éternel rival le Blake !
Tout n’est pas noir ou blanc : choisissez en fonction de ce qui vous plait et de l’utilisation prévue pour vos futures chaussures !
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