C’est un cuir dont le nom revient inlassablement. Il est sans doute le plus connu de tous les cuirs et un de ceux qui font le plus rêver les amateurs de belles chaussures (et autres accessoires en cuir).
Vu son histoire et ses caractéristiques, je me devais de lui consacrer un article le plus complet possible afin qu’il n’ait plus aucun secret pour vous.
Sommaire
Le cordovan : définition et origine
Qu’est-ce que le shell cordovan ?
Pour commencer le cordovan est forcément un cuir de cheval (mais tous les cuirs de chevaux ne sont pas du cordovan).
Ensuite, en général, lorsque l’on dit cordovan on parle en fait de shell cordovan.
Le terme shell (coquille) fait référence à la membrane, située au milieu de deux couches d’épiderme, dans la partie arrière de la croupe du cheval, qui est utilisée pour le confectionner.
Cette membrane couvre une toute petite partie de l’animal (sa taille varie en fonction de chaque cheval). Par ailleurs, elle est utilisée « à l’envers » ce qui signifie que ce que vous voyez sur vos chaussures c’est le côté chair.
Origine du cordovan
Cordovan, étymologiquement provient de « cordobán » qui veut dire « de Cordoue » (Córdoba en espagnol) cette référence est lié au fait qu’on trouve des traces de shell tannées dès le VIIe siècle par les Wisigoths qui, en plus d’avoir vécu en France, ont également occupé la ville de Cordoue en Espagne qui était, à cette époque un haut lieu du tannage des peaux.
Du coup, littéralement, Shell Cordovan signifie coquille de Cordoue en référence à l’origine de la matière utilisée pour le fabriquer et au lieu où il fut inventé.
Boucliers et rasoirs : le cordovan avant la chaussure
Par rapport à sa longue histoire, ce n’est que récemment que le cordovan a été utilisé pour fabriquer des chaussures.
Grâce à son exceptionnelle résistance, il fut d’abord utilisé sur les cuirasses et les boucliers des armures. Plus tard, il servira de support à la réalisation d’œuvres d’art de très haute qualité qui décoraient les murs et certains équipements de guerre.
Au début du XIXe on commença à l’utiliser pour affûter les lames des rasoirs droits (coupe-choux) car son grain extrêmement fin permet d’obtenir un excellent poli du fil. Ce marché gigantesque (tous les hommes de l’époque se rasaient avec le même type de rasoir) entraîna une explosion de la demande (et donc de la production) du cordovan.
Tout s’effondre lorsque Gilette invente le rasoir de sûreté et ses lames facilement changeables lorsqu’elles sont usées (pu besoin de les affûter). Les tanneries voient leur carnet de commandes se vider et doivent rapidement trouver une alternative pour continuer à vendre leur cuir.
Elles développent donc un cordovan plus fin et souple (celui utilisé pour l’affûtage des rasoirs était encore plus épais et rigide que celui utilisé pour les chaussures) avec lequel il est possible de confectionner, entre autres, des chaussures.
Son aspect unique, son extrême résistance (et donc sa durabilité) en ont rapidement fait un cuir très recherché par les fabricants de belles chaussures (en réponse à une forte demande de la part de leurs clients).
Horween : la référence du cordovan
Aujourd’hui, quelques tanneries proposent du shell cordovan. Mais la pionnière est une très célèbre tannerie américaine : Horween
Pour plus d’infos sur cette tannerie je vous invite à lire ce paragraphe d’un autre article de ce blog : Présentation de la tannerie Horween.
C’était la plus grande et la plus célèbre tannerie pour le cordovan utilisé pour les bandes à affûter. C’est un nouant un partenariat avec la marque de chaussures Alden que la tannerie pu continuer la production de shell cordovan avec le succès qu’elle connaît aujourd’hui !
Fabrication du cordovan
Comme pour tous les cuirs il est compliqué de connaître avec une grande précision la façon dont est fabriqué le shell cordovan.
Malgré tout, je vais essayer d’être le plus détaillé possible.
Comme il y a désormais plusieurs tanneries qui en proposent, je vais me concentrer sur le processus utilisé par la tannerie Horween.
C’est le plus documenté et, tant qu’à s’intéresser au cordovan, autant le faire via celui produit par la tannerie la plus mythique !
Fabriquer du shell cordovan est extrêmement compliqué : il faut 6 mois et plus de 100 opérations différentes (pour la plupart impossible à automatiser) pour arriver au produit fini.
Jusqu’à il n’y pas si longtemps Horween était quasiment le seul producteur de shell cordovan (grâce à son savoir-faire historique).
Face au phénomène de mode (et donc à une demande qui explose) du cordovan ces dernières années, il y a de plus en plus de tanneries qui en proposent désormais (au Japon, en Italie, en Angleterre et en Argentine notamment).
La production de shell reste malgré tout marginale par rapport aux autres cuirs.
Par exemple chez Horween, le plus célèbre et plus gros producteur actuel de shell au monde, ce cuir ne représente que 15 à 20% de leur activité.
A titre d’exemple, voici les différentes tailles de cordovan vendues par Horween :
Grade #1: 0,26 m2
Grade X: 0,21 m2
Grade #2: 0,16 m2
Grade #3: 0,14 m2
Grade #4: 0,12 m2
Grade #5: 0,09 m2
Vous remarquez que contrairement aux autres cuirs classés par qualité des peaux le cordovan n’est classé que par tailles
Tannage des peaux
Horween reçoit donc des peaux entières de chevaux (qui proviennent de France) issues de l’industrie de la viande.
Dans un premier temps, ils coupent, à la main, les deux petites parties qui serviront à faire du shell cordovan (le reste de la peau servira à faire leur cuir horsehide qui ne suit pas exactement le même processus de tannage).
Pour les débarrasser des poils, Horween va faire tremper les peaux dans des fosses contenant une solution exclusive (comprendre développée par leurs soins et dont il est impossible de connaître l’exacte composition) à base d’écorce de châtaignier et de quebracho ainsi que des résines.
Car, oui, le shell cordovan est un cuir à tannage 100% végétal
Tout cela se fait dans un mouvement constant (les peaux sont régulièrement sorties puis replongées dans le bac) afin que les tanins pénètrent bien en profondeur dans les peaux et ne viennent pas se fixer sur un point précis des peaux.
On obtient ainsi un tannage homogène et sur toute l’épaisseur de la peau. Cette première opération dure 30 jours.
Les peaux sont ensuite sorties et rasées pour révéler les shell. Elles sont ensuite remises dans un bain avec une solution plus concentrée pour 30 jours à nouveau. Ces durées ne peuvent pas être accélérées sinon on risquerait de ne tanner les peaux qu’en surface.
En temps normal, ces opérations sont réalisées au foulon (les fosses sont le plus souvent utilisées pour les cuirs à semelles et premières de montage). Cela permet d’obtenir la main si caractéristique du cordovan (mais demande bien plus de temps pour que les tanins pénètrent dans les peaux).
Si vous avez bien suivi, il reste encore 4 mois de travail pour obtenir le fameux shell cordovan.
Il va y avoir une longue succession d’application d’huiles et graisses en tout genre et de temps de repos.
Beaucoup de repos.
Plus qu’un long discours je vous invite à regarder cette vidéo, provenant de chez Horween qui suit et explique la fabrication de ce cuir :
Pourquoi le cordovan est-il si cher ?
Il y a plusieurs raisons, qui lorsqu’on les additionne, expliquent le prix très élevé (environ 1000€ HT du mètre carré) de ce cuir.
1/ un faible rendement par animal
Comme expliqué au début de cet article, la membrane utilisée pour fabriquer le shell cordovan couvre une toute petite partie de l’animal.
Avec la peau d’un cheval, vous aurez à peine assez de shell pour fabriquer une paire de chaussures.
2/ le manque de peaux
Les peaux de chevaux utilisées pour fabriquer le cordovan sont des sous-produits de l’industrie de la viande.
Sauf que la viande de cheval se fait de plus en plus rare (à ma connaissance, il ne reste que la France, la Belgique et le Québec qui consomment de la viande de cheval) donc les peaux brutes disponibles sur le marché sont de moins en moins nombreuses.
3/ la fabrication
En plus d’un savoir-faire rare, la fabrication du cordovan demande beaucoup de temps.
Dans un monde en recherche d’instantané rare sont les tanneries qui peuvent se permettre de prendre 6 mois pour fabriquer du cuir.
Pour celles qui le font, forcément cette durée à un impact énorme sur le prix de revient du cuir.
4/ la demande
Malgré son prix, la demande pour du cordovan ne faiblit pas (au contraire).
Cela tire donc les prix vers le haut !
Caractéristiques et vieillissement du cordovan
1/ Durabilité et résistance
C’est sans doute le plus durable de tous les cuirs. On parle quand même d’un cuir qu’on utilisait (dans une version plus épaisse certes) pour aiguiser les coupe-choux. Cette résistance provient de son grain extrêmement fin.
Sur la croupe des chevaux, les pores de la peau sont tellement denses qu’on ne les voit pas à l’œil nu. Combiné avec les huiles et autres graisses avec lesquelles les shell sont nourries tout le long de leur tannage on obtient un cuir très résistant à l’eau.
Oui oui j’insiste : le cordovan ne craint pas l’eau contrairement à ce que vous pouvez lire dans certains articles. J’en parle plus en détail à la fin de cet article.
2/ Vieillissement et plis d’aisance
Le cordovan étant un cuir à tannage 100% végétal il a une excellente capacité à se patiner avec le temps.
Vos chaussures seront donc de plus en plus belles !
Au niveau des plis, il ne se comporte pas du tout comme les autres cuirs. Au lieu des traditionnels plis d’aisance que vous connaissez, une chaussure en cordovan présentera comme des vagues sur les deux axes où le pied plie lors de la marche.
Il faut savoir que c’est une excellente chose pour la durée de vie de vos chaussures. En fait, les plis sur un cuir classique sont des micros fissures (donc des micros déchirures du cuir). A la longue, le cuir va donc finir par se déchirer (souvent au niveau du point le plus large de vos pieds sur le pli d’aisance) et vos chaussures seront alors bonnes à jeter.
Comme le cordovan ne plie pas vraiment lors de la marche il n’y a pas de micros fissures. Cela signifie qu’il ne se déchira pas au niveau des plis d’aisance (et nulle part ailleurs non plus). Encore un bon point la durabilité !
3/ Les différentes couleurs du cordovan
Le cordovan est compliqué à teinter. C’est pour cela que jusqu’à très récemment vous ne le trouviez que dans des variations de marron, du noir du bleu marine et la fameuse couleur #8 (un bordeaux foncé).
D’ailleurs, cette couleur #8 est tellement connue que, par abus (irais-je dire qu’ils essaient de vous rouler dans la farine ?), certains fabricants parlent du cuir cordovan en référence à un cuir de veau / vachette dans une couleur approchante.
Face à la très forte demande, Horween a commencé à développer d’autres versions. Citons les deux que vous pourrez trouver chez certaines marques :
Le cordovan unglazzed (un cordovan naturel, sans teinture) :
Le cordovan marble (avec un effet museum)
Comment reconnaître du cordovan ?
Il n’y a pas de méthode infaillible pour être sûr à 100% que vous êtes face à du shell cordovan. Il faut exercer ses sens !
1/ Le toucher
Pas facile de décrire la sensation, mais le cordovan à un toucher très caractéristique et facilement reconnaissable (en plus d’être épais et rigide). Si vous achetez sur internet, ce point ne servira pas à grand-chose j’en ai bien conscience.
2/ La vue
C’est le sens le plus utile pour reconnaître du cordovan. Déjà par son aspect très lisse et brillant.
Le problème c’est que les cuirs corrigés (bookbindés) peuvent avoir la même apparence (du moins en photo) et que certains fabricants s’efforcent de s’approcher au maximum de l’aspect du cordovan au finissage afin de créer l’illusion.
Par contre, il y a un aspect qui ne peut pas mentir : les plis. Impossible de vous tromper ici :
A droite un cuir classique, des micros fissures.
Cliquez sur l’image pour l’agrandir
Le souci c’est que, normalement, sur une paire neuve, les plis ne seront pas visibles (et au prix des paires en cordovan je vous déconseille de les plier juste pour voir).
Le mieux est donc de vous exercer en allant voir des chaussures dont vous êtes certain qu’elles sont en cordovan pour apprendre à le reconnaître !
Inconvénients du cordovan
Jusqu’ici, je n’ai fait que le vanter. Mais, afin d’être le plus complet possible, je vais également vous présenter trois inconvénients de ce cuir (personne n’est parfait).
1/ Rigidité
Le cordovan est un cuir rigide et épais. Il ne sera donc pas aussi souple que la plupart des cuirs de veaux utilisés habituellement.
Cela signifie qu’il sera plus long de « casser » vos chaussures pour les faire à vos pieds.
Cet inconvénient sera plus ou moins important selon votre sensibilité au niveau des pieds.
2/ Respirabilité
Comme il est très dense, le cordovan est un cuir bien moins respirant que les autres (pour ne pas dire pas du tout).
Il mettra donc bien plus de temps à absorber l’humidité / la transpiration.
Du coup, je recommande plutôt d’acheter des chaussures d’hiver en cordovan que des chaussures d’été.
Je sais, il existe de nombreux mocassins en cordovan.
Mais, de un, les mocassins ne se portent pas qu’aux beaux jours. De deux, ils sont souvent doublés. Dans ce cas, le cuir de la doublure fait office d’éponge / de tampon pour la transpiration.
Le problème d’une chaussure mal « ventilée » (à cause d’un cuir peu respirant) c’est que cela va avoir un impact sur les autres composants (le cordovan, lui, ne se dégradera pas à cause de cela). La semelle en cuir par exemple qui va s’assécher en absorbant la transpiration et risque de craquer.
Prudence donc si vous savez que vous avez une tendance à beaucoup transpirer des pieds.
3/ Inégalité
Tous les cordovan ne se valent pas. Il y a deux sources notables de différence entre-eux :
- La tannerie dont provient le cuir
- Le fabricant de chaussures
Le premier point est évident : chaque tannerie à son processus de fabrication. Donc, même si à la fin il s’agit de shell cordovan, les caractéristiques ne seront pas les mêmes selon la tannerie qui l’a fabriqué.
Pour le second point, il faut savoir que chaque fabricant à son propre protocole de finition. Cela va avoir un impact sur le comportement du cuir sous la pluie notamment (j’en parle dans le dernier paragraphe de cet article).
Entretien du cordovan
Comme le cordovan n’est pas un cuir comme les autres, vous pourrez souvent lire qu’il ne doit pas être entretenu de la même façon. De mon expérience, la seule différence, c’est que j’utilise une crème spéciale cordovan. Mais sinon, la façon de faire est le même.
En revanche comme c’est un cuir très gras je l’entretiens bien moins souvent qu’un cuir classique.
Le mieux est surtout de le brosser très régulièrement et très énergiquement pendant un bon moment.
C’est le meilleur moyen de lui redonner tout son brillant et de couvrir les petites éraflures.
Je n’applique de la crème cordovan qu’occasionnellement.
Une des curiosités que vous pourrez trouver à propos de son entretien est l’utilisation d’un os de cerf. On raconte que ces os contiennent la bonne quantité d’huile / de gras pour ne pas abîmer le cuir tout en évitant de trop le nourrir.
Je ne peux malheureusement pas vous donner un avis fiable sur cette technique pour la simple et bonne raison que je ne l’ai jamais essayée. Je dois admettre que l’image de moi, dans mon salon, en train de frotter un os de cerf sur mes chaussures en cuir de cheval m’a paru assez absurde. J’ai préféré m’abstenir. Si vous avez essayé n’hésitez pas à partager votre expérience dans les commentaires à la fin de l’article.
Retenez que le cordovan demande peu d’entretien. Il faut essentiellement le brosser (le plus souvent possible).
Le cordovan sous la pluie
C’est un débat qui fait rage auprès des amateurs de chaussures en cordovan:
Peut-on les porter sous la pluie ou doit-on a tout prix éviter qu’elles soient mouillées ?
La réponse est très simple : le cordovan ne craint pas l’eau donc vous pouvez y aller.
Mais (oui, ça serait trop simple sinon) comme indiqué plus haut, certains fabricants de chaussures viennent appliquer une couche de protection sur les chaussures. La plupart du temps, il s’agit d’un vernis semi-permanent. Cela va venir donner encore plus de brillant au cordovan (ce qui est souvent recherché par les clients). L’inconvénient c’est que cet apprêt peut parfois faire de petites cloques lorsqu’il est mouillé.
A l’opposé, le cordovan brut (celui qu’Horween livre à ses clients par exemple) va parfois laisser apparaître des taches blanches lorsqu’il prend l’eau. Sauf que, dans les deux cas, un brossage énergique va en venir à bout !
Maintenant, vous pourrez choisir en connaissance de cause de porter ou non vos chaussures en cordovan sous la pluie !
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